Si la compagnie marseillaise Générik Vapeur fêtait ses 40 ans en 2023, l’histoire qu’elle partage avec Sotteville-lès-Rouen a débuté il y a un peu plus de trente ans.
En 1992, la troupe arrive pour la première fois à Sotteville, invitée d’honneur de la 3ᵉ édition du festival Viva Cité. C’est le début d’une complicité artistique qui n’a cessé de se renouveler. Installés pour un mois en résidence dans les anciens Ateliers du Tramway, les artistes de Générik Vapeur apportent avec eux leur énergie, leur inventivité et leurs machines poétiques. Cette première collaboration donnera naissance à une série de retrouvailles marquantes, de Taxi à Waterlitz, en passant par La Deuche Joyeuse ou encore Merci de votre accueil, autant de créations pensées pour l’espace public et généreusement partagées avec les habitants.
À l’occasion de cet anniversaire, la compagnie publie Générik Vapeur, 40 ans de théâtre de rue , un ouvrage édité par Deuxième Époque, avec le soutien du Centre national des arts de la rue et de l’espace public - L’Atelier 231, qui y apporte également sa contribution éditoriale. Ce livre retrace les grandes étapes d’un parcours artistique marqué par l’engagement, la liberté et la transformation des lieux.
Le texte qui suit, signé Daniel Andrieu, alors Directeur des Affaires Culturelles de la ville de Sotteville-lès-Rouen, revient sur cette première résidence fondatrice. Il a été publié initialement dans cet ouvrage anniversaire. Il témoigne, avec sensibilité et précision, de la rencontre entre une troupe et un territoire, entre la légendaire locomotive la Princesse et les rues de Sotteville.
Sylvain Marchand

Les Générik et la Princesse
En 1992, Générik Vapeur est l’invitée d’honneur de la troisième édition du festival de Sotteville-lès-Rouen.
Le pari est téméraire : proposer à la troupe la plus turbulente du théâtre de rue une résidence d’un mois dans les anciens entrepôts des Ateliers du Tramway de Rouen.
Le bagou et la faconde marseillaise : une rencontre inattendue avec la retenue circonspecte des Normands.
Début juin 1992, débarque d’un autocar, au milieu de la cour de cette friche du XIXᵉ siècle, une joyeuse bande débridée, maintenue en équilibre par le charisme de Caty et Pierre. Plusieurs camions brinquebalants et colorés accompagnent cet équipage.
Les habitants de l’immeuble voisin ne comprennent pas une telle agitation faite de rires, d’engins et d’accoutrements à la mode de demain.
Nous n’avions aucune expérience de l’accueil en résidence. Nous ne sommes pas prêts, et les demandes des artistes affluent de toutes parts : électricité, eau, sanitaires, couchages, restauration… tout laisse à désirer. Mais la troupe s’en accommode avec une bonne humeur mêlée, parfois, d’impatience.
La demande artistique faite à la troupe est colossale.
![]() Benoit Eliot
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![]() Benoit Eliot
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Créer de toutes pièces une œuvre avec la locomotive imaginée par Jean-Paul Goude pour le défilé du bicentenaire de la Révolution sur les Champs-Élysées. Jouer Bivouac et La Petite Reine, l’ensemble étant échelonné sur trois jours.
La locomotive et son tender mesurent 27 mètres de long. Prévue pour aller tout droit, la réplique de la Pacific 231 tourne difficilement, et pourtant, elle évoluera dans les rues de Sotteville pour rejoindre la place de l’Hôtel de Ville, où le coup d’envoi est donné.
Le convoi est magnifique, le public est subjugué, d’anciens cheminots ne peuvent retenir leur émotion. Cette locomotive est mythique en France. Beaucoup de mécaniciens présents pendant le spectacle l’ont entretenue avec respect dans les Ateliers Buddicom de Sotteville-lès-Rouen. Les ouvriers l’appellent la Princesse.
La maquette est fragile ; les artistes juchés dessus font preuve de gestes contenus et d’une légèreté inhabituelle.
![]() Jean-Pierre Estournet
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![]() Jean-Pierre Estournet
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Pierre est le maître d’œuvre ; il ouvre le spectacle en garde-barrière averti. Caty chante le poème de Jacques Prévert En sortant de l’école, posée comme un souffle sur la locomotive. Des chauffeurs, à l’instar de Jean Gabin dans le film La Bête humaine, semblent faire mouvoir l’ensemble avec force sifflets et jets de vapeur.
Un colosse est monté à l’avant de la Pacific 231 et tente, comme à la pêche au gros, de ramener un globe terrestre dans ses rets.
« En sortant de l’école, nous avons rencontré
un grand chemin de fer
qui nous a emmenés
tout autour de la terre
dans un wagon doré. »

Les artistes de Générik Vapeur et la Princesse sont accueillis sur la place, avec ovations du public, bruits de fureur et grincements des rails aux abords d’une réplique étrange et colorée de la gare de Sotteville, imaginée par Nil Admirari.
Daniel Andrieu
Le texte original a paru dans l’ouvrage
Générik Vapeur, 40 ans de théâtre de rue. Bertrand Dicale et Michel Peraldi. Editions Deuxième époque. Domaine Arts dans l’espace public, 2023